L’église Saint-Liboire du Mans est consacrée en 1961. Elle est construite le long de l’avenue Rhin-et-Danube, un axe principal de la ville. Son histoire mouvementée rappelle la vague de création de paroisses dans la première moitié du XXe siècle, et son architecture annonce les modifications liturgiques apportées lors du concile Vatican II.
Une ode au béton
En extérieur comme en intérieur, les matériaux sont laissés brut. L’ossature de l’édifice, pensée pour recevoir neuf cents personnes, est constituée de sept puissants portiques espacés de six mètres. Les poutres ont vingt-sept mètres cinquante de portée, dont plus de sept mètres de porte-à-faux, c’est-à-dire prolongées en surplomb, au-delà de leurs appuis. Cette trame, qui se répète dans la crypte, est en outre projetée devant la façade occidentale et transforme une travée en vaste porche. Ces poutres scandent donc l’espace et déterminent la forme architecturale particulièrement simple de l’édifice.
Mis à part le bois des confessionnaux dans le bas-côté nord et les carreaux de céramique en pavement du sanctuaire, aucune teinte ne diffère du béton qui règne ici en maître. L’aspect brutaliste de l’église est nettement un parti pris qui assure une esthétique et qui permet une libération du plan. En effet, les grands porte-à-faux constituent l’ossature du bâtiment. Ils assurent une portée qui permet aux murs de s’ouvrir et donc d’accueillir un mur-rideau. Au mur nord, plus bas que le mur sud, un bandeau de verre est réservé sur toute la partie supérieure. Le mur sud, plus haut du fait de la forme brisée des porte-à-faux, est complétement ouvert avec 55 brise-soleils le long de la nef et une verrière au niveau de l’autel.
Utiliser la lumière, révéler l’architecture
La position des ouvertures et les teintes choisies (froides au nord et chaudes au sud) servent à magnifier l’architecture en proposant notamment des jeux de reflets de forte intensité sur les objets liturgiques et sur le béton. Grâce au dépouillement de l’église, la lumière s’exprime pleinement et joue un rôle incontournable dans la lecture du site.
Au-delà de l’apport esthétique, l’utilisation de la lumière à Saint-Liboire a une portée symbolique et liturgique centrale. La nef de l’église s’agence en deux parties : un parterre face à l’autel et des gradins dans la partie est. L’autel est surélevé de six marches par rapport à la nef. Cette organisation permet une visibilité de la table d’autel en tout endroit de l’église. Cette visibilité s’accentue par la lumière qui est systématiquement dirigée vers l’autel : position des jambages en oblique des brise-soleils, monumentalité de la verrière d’autel et chevet plat et aveugle. L’autel, décollé du mur, est placé face au peuple pour favoriser la « participation active des fidèles ». Tout l’espace de la célébration est requalifié comme centre et cœur de l’assemblée, et reçoit donc symboliquement une lumière dirigée latéralement.
Des innovations techniques
Les verrières sont dessinées par le maitre-verrier parisien François Bertrand et réalisées par les ateliers Loire (Chartres ?) qui développent la technique de la dalle de verre employée ici. Cette nouvelle technique apparaît entre 1925 et 1929. Le maître-verrier Auguste Labouret dépose un brevet en 1933 pour un « vitrail en dalles éclatées à réseau de ciment armé ». Dans ce domaine également, les innovations techniques et les nouveaux matériaux ont leurs répercussions. En effet, l’usage du ciment armé en guise de réseau entraîne une révolution dans l’intégration du vitrail dans l’architecture. La dalle de verre, bien plus épaisse que le verre mince du vitrail traditionnel, dit verre à l’antique, permet une plasticité pour s’adapter à l’espace architectural et offre une luminosité accrue.
Détail du bandeau de verre au bas-côté nord de l’église Saint-Liboire. ©Y. Guillotin
La verrière monumentale de l’autel, qui se libère de tout appui intermédiaire, est réalisée selon la technique de la dalle de verre. Elle représente saint Liboire, premier évêque du Mans et saint patron de la paroisse. La mention, à ses pieds, des cathédrales du Mans et de Paderborn rappelle les liens étroits qu’entretiennent ces deux évêchés depuis le IXe siècle.
La légende raconte qu’Aldric alors évêque du Mans confia à Baldurad, évêque de Paderborn, une partie des reliques de saint Liboire lors du synode d’Aix-la-Chapelle en 836. Depuis cet acte hautement symbolique, les deux évêchés ont entretenu des rapports plus ou moins proches à travers les siècles mais qui, dans les années 1950-1960, sont particulièrement actifs. A Saint-Liboire, c’est notamment une donation de Paderborn qui permet la construction de l’église ; et la translation d’une relique de saint Liboire depuis l’évêché allemand vers la paroisse mancelle a fait affluer les donations locales.
Verrière monumentale de l’autel, église Saint-Liboire. ©Y. Guillotin
L’emploi de matériaux nouveaux dans l’art du vitrail poursuit cette révolution lumineuse. Les 55 brise-soleils de la nef sont en verre organique. Ce matériau est mis au point par Guy Soleille, le gendre de Gabriel Loire, qui fonde son propre atelier en 1959. Préfabriqués sur place, les vitraux sont posés en oblique vers le chœur. L’usage du polyester est relativement inédit et ouvre de nouvelles perspectives dans le domaine de la conservation de ces édifices parfois en péril.
Brise-soleils en polyester depuis l’extérieur de l’église Saint-Liboire. ©Y. Guillotin