Une seconde étape de l’inventaire des châteaux, manoirs et demeures de villégiature en bord de Mayenne, menée par le Département avec le soutien de la Région, s’achève avec la fin de l’étude de la section de rivière entre Mayenne et Laval. Ce travail se poursuit désormais au sud de Laval et autour de Château-Gontier. Parmi les sites étudiés, l’énigmatique demeure de la Coudre, qui occupe un pittoresque promontoire au-dessus de la rivière et du bourg de Changé, livre peu à peu quelques-uns de ses secrets.
Un belvédère sur la vallée
La demeure de la Coudre est implantée au sommet d’un éperon rocheux dominant la rivière Mayenne, dit le Saut-Gautier, lequel a été amputé par l’aménagement de la route de Laval à Changé au XIXe siècle. De cet emplacement, on jouit d’une vue imprenable sur la vallée et le bourg de Changé. Naturellement protégé, le lieu a été occupé très tôt par l’homme : si le rebord du promontoire n’a pas été fouillé, l’archéologie a cependant très récemment révélé la présence d’un habitat protohistorique sur le plateau, où se construit actuellement un lotissement.
La vallée de la Mayenne et le bourg de Changé depuis une fenêtre du logis. ©P.-B. Fourny
En revanche, aucun document d’archive ne vient éclairer les origines de cette demeure, communément nommée manoir bien que rien n’atteste véritablement d’un statut noble sous l’Ancien Régime. L’instituteur communal Rossignol, dans sa monographie de 1899, préfère parler, sans doute avec raison, de « maison de campagne » ou de « gentilhommière ». Les documents conservés relatifs à l’histoire de la Coudre sont postérieurs à sa transformation en métairie et closerie. On ne sait donc rien des familles qui en commanditèrent la construction et le possédèrent par la suite. Toutefois, les nombreux manoirs repérés dans la vallée de la Mayenne près des anciens franchissements et l’intérêt stratégique du site laissent peu de doute quant à une origine seigneuriale de la construction.
La Coudre dessinée par Félix Désille, première moitié du XXe siècle. ©Archives départementales de la Mayenne
L’apport de la dendrochronologie
En l’absence d’archives, une campagne de dendrochronologie (technique de datation des bois de construction par l’analyse des cernes de croissance) menée par la société Dendrotech/Mémoires du bois et financée par le Département a permis de lever le voile sur la chronologie de la construction de la demeure actuelle, de plan en L.
Une première étape voit la construction de l’aile ouest, datée par le plancher du premier étage des années 1478-1491. L’aile en retour est mise en œuvre peu après, les planchers étant datés des années 1490-1494. Les maçonneries du pignon nord indiquent que l’aile ouest est surélevée à la même occasion. Le bâtiment est alors desservi par un escalier à vis logé dans-œuvre, aujourd’hui disparu. L’escalier hors-œuvre, dans la tour, a pu être daté quant à lui des années 1642-1672 : cette transformation tardive pourrait correspondre, selon toute vraisemblance, à la division du bâtiment en deux logis.
L’escalier à vis dans la tour. ©P.-B. Fourny
Parmi les éléments de la fin du XVe siècle conservés en place, signalons la grande cheminée du rez-de-chaussée, qui donnait sur un four aujourd’hui détruit. Certaines ouvertures, chanfreinées ou ornées d’accolades, peuvent également être datées de cette période. La présence d’arcs cintrés dans la maçonnerie, arcs de décharge ou anciennes ouvertures bouchées, ne trouve pour l’heure pas d’explication satisfaisante. Certains éléments ont été remis en évidence voire restitués par une restauration conduite dans les années 1990 : la tour tronquée a ainsi retrouvé une couverture en poivrière. Les lucarnes sont une création d’inspiration médiévale.
La cheminée principale du logis. ©P.-B. Fourny
Un nouveau rapport au paysage
En 1726, une montrée de la Coudre, dans laquelle on peine à reconnaître les bâtiments actuels, distingue « la maison du maistre » de la « maison du collon » (probablement détruite), chacune avec leurs dépendances agricoles. La maison du maître semble correspondre au manoir avec ses deux escaliers distincts menant à deux chambres hautes ; il y est également fait état d’une petite galerie proche d’une des chambres et d’une latrine, aujourd’hui disparue. Les modifications datables du XVIIIe siècle sont probablement postérieures à cette montrée, à laquelle assistent le maçon François Vallée et le couvreur Julien Desson : percement de deux grandes fenêtres et reconstruction du mur-pignon sud, avec utilisation de calcaire marbrier rose de Saint-Berthevin, et sans doute aménagement de la terrasse pour profiter du paysage.
Ces modifications témoignent de l’intérêt nouveau porté à la contemplation d’un paysage pittoresque, auquel feront largement écho les nombreux châteaux bâtis au XIXe siècle en bord de Mayenne : les grandes baies ouvrent l’habitation sur l’extérieur, la terrasse et plusieurs jardins dont un « grand jardin », un potager clos de murs et un verger, offrent des espaces de promenade et de contemplation. D’un lieu voué au repli et à la défense, on passe à une demeure – certes à vocation agricole – mais qui ne néglige pas un certain confort et l’agrément d’un panorama remarquable. Aujourd’hui, ce sont les principaux arguments de l’établissement qui accueille des chambres d’hôtes.
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