En arpentant l’ancien chemin de halage de la Mayenne, le promeneur aperçoit entre les arbres, tout près du pont de la Valette qui relie Villiers-Charlemagne à Houssay, de vastes constructions d’apparence hétéroclite. Il s’agit du château de la Valette, un ensemble architectural remarquable que les textes mentionnent dès le XVIIe siècle, mais pour l’essentiel façonné au XIXe siècle dans l’objectif d’en faire un domaine agricole modèle.
Des communs luxueux et modernes
La reconstruction des communs du château de la Valette est commanditée par le comte Marie-Charles Sourdille de la Valette, dont la famille possède le domaine depuis 1658. Fortement investis dans la modernisation du monde agricole au XIXe siècle, les aristocrates mayennais n’ont alors de cesse d’optimiser le rendement de leurs propriétés par l’amélioration des techniques agricoles et de l’outillage, ainsi que de développer des cheptels de qualité par la sélection des races. Ainsi, on voit fleurir aux abords des châteaux des bâtiments ruraux modèles, inspirés des traités d’agriculture venus d’Angleterre pour la bonne tenue des exploitations et des prescriptions véhiculées par les sociétés d’agriculture.
Vue d’ensemble des communs et du château face à la Mayenne – La Valette, Villiers-Charlemagne © P.-B. Fourny
Désireux de doter sa résidence de campagne d’un équipement de pointe, Charles Sourdille fait élever vers 1860, par un architecte dont le nom demeure inconnu, un vaste ensemble de bâtiments disposés en U où se combinent à la fois les fonctions de la ferme et de service liés à la demeure (communs). On y trouve ainsi une écurie, une sellerie, des remises, une buanderie et un séchoir, mais aussi un logement de fermier, des étables et une laiterie.
Plan phasé des communs du château de la Valette. Carte de l’accroissement du domaine de la Valette et dates d’acquisition. © T. Ben Makhad
La construction des communs de la Valette connait un certain écho dans la littérature spécialisée. Dans un article publié en 1861, le journaliste-chasseur Paul de Souesmes rend compte de sa visite des « magnifiques étables renfermant ce que l’Angleterre a de plus pur comme animaux de la race Durham ». Dans son Voyage agricole en Normandie, dans la Mayenne, en Bretagne…, publié en 1862, le comte Conrad de Gourcy, grand arpenteur du monde agricole français et européen, insiste sur l’éclat et la modernité des installations. « M. de la Valette construit des communs, on peut le dire sans exagération, avec grand luxe ; on achève deux étables, chacune pour douze bêtes, une autre étable pour trois taureaux et des boxes pour y mettre les veaux en liberté.
Dans une grande pièce voisine, la nourriture des animaux sera coupée, mélangée et fermentée. Plusieurs écuries destinées aux chevaux de luxe, une belle sellerie, de grandes remises, etc., rien n’est oublié. Les boiseries de toutes ces pièces, employées aux séparations des animaux en stalles, aux mangeoires, aux portes et fenêtres, sont d’une grande épaisseur, très solides et faites en très beau bois de chêne. Les plafonds sont formés de petites voûtes très légères et extrêmement solides ; pour les faire on a posé à tous les deux mètres des tringles en fer, qui servent à relier les basses-gouttes, et à supporter les voûtes faites avec deux genres de briques à rainures d’une nouvelle invention ».
Le chenil, détail de porte et des maçonneries © P.-B. Fourny
Ce dispositif de voûtement en berceaux de briques sur poutrelles métalliques est encore visible, de même qu’une partie des box des chevaux, la sellerie et ses lambris, les trémies destinées à l’écoulement des grains stockés depuis les greniers, les rigoles pour l’évacuation des purins, les chambres des garçons d’écurie sous les toits ou encore l’exceptionnelle buanderie avec sa chaufferie et sa grande cuve en ciment.
L’austérité de l’architecture et du plan d’ensemble sont à mettre en lien avec la recherche d’une fonctionnalité optimale des bâtiments : agencement cohérent des espaces et taille raisonnable de la cour pour limiter les déplacements des employés, nombreuses et grandes ouvertures pour l’aération des pièces, voûtes en briques pour limiter les risques d’incendie, etc. Néanmoins, la recherche esthétique n’est pas complètement absente, avec les encadrements d’ouvertures en briques – récurrents dans l’architecture des communs et fermes – et, plus exceptionnel, les vitraux colorés dont sont encore pourvues certaines baies.
La buanderie © P.-B. Fourny
Des agrandissements princiers
En 1882, le domaine de la Valette, au cœur de « l’une des plus belles chasses de France », est racheté par le prince Godefroy de La Tour d’Auvergne Lauraguais, grand amateur de chasse à courre et propriétaire du rallye Basse-Mayenne. Il décide de faire agrandir et compléter les communs et commande des plans à l’architecte parisien Louis Legrand en 1891. Ces plans existent toujours et constituent une formidable documentation sur les communs de la Valette.
Ainsi, les travaux voient l’adjonction, aux deux extrémités du U, d’un poulailler et d’un chenil, sans rompre la symétrie de l’ensemble. Sans doute principal prétexte des travaux, le chenil est un bâtiment complexe où tout est réfléchi, depuis l’agencement des pièces visant à séparer chiens du maître, chiens des invités et sujets malades en quarantaine, jusqu’à la forme des grilles de la cour, surmontées d’un système de roulettes pour empêcher les animaux de grimper. Le logement et le séchoir sont également remaniés et une tour est construite pour loger un escalier et un château d’eau. Au revers de la buanderie, une galerie et des caves sont aménagées. Un muret et un porche viennent clore la cour du côté de la Mayenne.
Les plans des communs et du chenil par Louis Legrand, 1891. © Collection particulière © Région Pays de la Loire – Inventaire général
Les nouveaux bâtiments se distinguent de la construction originelle, d’aspect plutôt sévère, à la fois par la teinte et le gabarit de la brique employée, provenant de la briqueterie des Agets à Saint-Brice, mais aussi par leur style néo-régionaliste. C’est une architecture de fantaisie et de trompe-l’œil, habillée de parements de pierres rustiques, de pans de bois, d’encorbellements, de toits complexes et débordants, faisant écho à un bâti rural idéalisé. Cependant, malgré deux campagnes de travaux aux intentions diamétralement opposées, la première toute en austérité et rationalisme, la seconde animée par un goût du pittoresque, l’ensemble demeure d’une grande cohérence.
Les travaux réalisés pour le prince de La Tour d’Auvergne Lauraguais ne s’arrêtent pas là puisqu’une canalisation en fonte destinée à distribuer l’eau dans les différents bâtiments est aménagée sous la cour. A cet effet, une éolienne est élevée en 1887 pour permettre de puiser l’eau souterraine (qui n’est pas celle de la Mayenne), acheminée jusqu’à un réservoir situé sur le coteau et qui s’écoule de là vers les jardins et les communs. Dernière de ce type en élévation en Mayenne, il s’agit d’une éolienne produite au Mans dans les ateliers Bollée.
La turbine, composée d’une roue fixe (stator) et d’une roue mobile (rotor), est supportée par une colonne en fonte montée sur un socle circulaire en maçonnerie et arrimée par des haubans en fer. Autour d’elle s’enroule un étroit escalier en vis métallique aux marches ajourées, montant jusqu’à une petite plateforme circulaire où sont indiqués par des lettres les points cardinaux. C’est un modèle dit de type 3, plus particulièrement adapté à une implantation en vallée, qui conditionne le nombre de pales (44 pour le stator, 32 pour le rotor), le diamètre du rotor (5 m) et la capacité d’élévation d’eau (3,6m3 par heure).
L’édicule au pied de l’éolienne abrite la pompe mue par l’énergie transmise par le rotor via l’arbre de transmission situé dans la colonne. Spécimen rare, cette éolienne contribue au caractère exceptionnel de cet ensemble architectural, que ses propriétaires s’emploient actuellement à restaurer pour accueillir des gîtes de charme dans un cadre remarquable et paisible, au bord de la Mayenne.
Consulter les dossiers d’inventaire
Les dossiers d’inventaire issus de l’étude (sont désormais consultables en ligne.
POUR en découvrir plus
L’inventaire des rives de Mayenne, mené par le Département de la Mayenne en partenariat avec la Région des Pays de la Loire, se concrétise avec la publication de l’ouvrage Demeures en bord de Mayenne – Des balcons sur la rivière, en coédition 303 – Région des Pays de la Loire. Le domaine du château de la Valette à Houssay y fait figure de modèle d’architecture agricole.