Nichée entre haut et bas bocages, l’église de Cheffois dénote par son aspect fortifié à l’extérieur et la légèreté de son architecture intérieure. L’inventaire mené par Mathilde Pubert, chercheuse et doctorante, sur les églises flamboyantes du Bas-Poitou (Vendée) propose de redécouvrir cette église à la lumière des dernières recherches.
Dans le dernier quart du XVe siècle, le conseil de fabrique de l’église de Saint-Pierre de Cheffois entreprend de reconstruire le chœur de l’édifice et de l’agrandir au nord. Les seigneurs de la Rousselière, Jehan Rouault et Louise de Mareuil, participent au financement de ces travaux, tout en apposant leurs armoiries sur l’ensemble de l’église.
Les révélations du procès
En 1503, un procès oppose le prieur comandataire de Cheffois, Pierre de la Coussaye, et les seigneurs de La Rousselière, représentés par les héritiers de Jehan Rouault, alors décédé (document conservé dans une collection particulière, transcription par Francis Moreau). Le conflit porte sur la présence des armoiries des Rouault dans la nouvelle construction et particulièrement sur la grande verrière du chœur, où ces derniers se font représenter en prière. Si la teneur du document reste principalement politique, les échanges nous livrent de précieuses informations sur le chantier et son financement : « Ladicte eglise parroissial indigente de reparation » en référence à l’état de l’église avant travaux, les souhaits de la fabrique, l’implication de Jehan Rouault ou encore la description de certains vitraux alors nouvellement placés dans l’église et aujourd’hui perdus.
Cheffois, église Saint-Pierre, armoiries des Rouault sur le portail principal © Région Pays de la Loire – Inventaire général. T. Seldubuisson
Les épures des piliers flamboyants
À l’extérieur, sur deux contreforts du mur nord, se dessinent sur plusieurs mètres de grands tracés, finement gravés, correspondant parfaitement à la coupe des deux piliers centraux édifiés lors de la modification de l’église. La découverte récente de ces deux grandes épures nous offre une perspective nouvelle sur la mise en œuvre de cet agrandissement. Ces dessins ont probablement servi lors du chantier à projeter la coupe des piliers avant leur construction. À partir de ces tracés, les artisans obtenaient des gabarits, nommés au Moyen Âge des molles, le plus souvent en bois ou dans un autre matériau léger pour facilement pouvoir les transporter. Ces vestiges, rares, nous permettent de déduire la progression du chantier : le nouveau mur nord et ses contreforts ont nécessairement été édifiés avant la création des nouveaux piliers, dont l’édification nécessitait de détruire l’ancien mur nord. Cette organisation permettait de préserver le plus longtemps la disponibilité de l’ancienne église pour les offices.
Relevés des épures © M. Pubert
Ces épures nous révèlent aussi la prise en compte du bâti ancien lors de l’agrandissement de la fin du XVe siècle. L’une des coupes (à gauche sur le relevé) change légèrement de profil pour ressembler aux piliers plus anciens présents dans l’église. Ainsi, le chœur nouvellement édifié semble prolonger les voûtes antérieures, au détriment de la cohérence globale du chantier flamboyant. Les voûtes d’ogives du XVe siècle dans la travée sud du chœur, alignées avec les voûtes anciennes, sont dites octopartites (divisées en huit), comme celles auxquelles elles succèdent, tandis que les voûtes de la travée nord sont sexpartites (divisées en six).
Coupe nord-sud de l’élévation de la dernière travée © T. Ben Makhad
Quand un chantier en cache un autre
Inséré dans une maçonnerie plus ancienne, le portail principal, toujours de style gothique flamboyant, présente une nature de pierre calcaire légèrement différente du reste de la construction du XVe siècle. Ce premier indice et le style du portail nous suggèrent que ce dernier fut réalisé peu de temps après la grande campagne de travaux financée par Jehan Rouault. Aucune archive ne documente néanmoins ce second chantier.
Pour autant, une minutieuse campagne photographique réalisée par l’Inventaire a mis au jour une petite date inscrite sur le portail, au-dessus de la statue de Saint-Pierre. Bien que l’état de conservation de cette inscription rende sa lecture difficile, il est possible de distinguer : MIL ◊ Vc ◊ X(X)VI, soit la date 1516 ou 1526, un des X étant peu lisible. À cette date, bien que Jehan Rouault soit mort, ses armoiries sont toujours fièrement affichées sur le portail, confirmant que les seigneurs de La Rousselière continuent de s’investir dans l’embellissement de l’église.
Cheffois, église Saint-Pierre, détail du portail principal © Région Pays de la Loire – Inventaire général. T. Seldubuisson
Et ensuite ?
L’église flamboyante reconstruite par le conseil de fabrique et les Rouault est rapidement modifiée. L’édifice est fortifié dès les guerres de Religion, avec l’adjonction de petites casemates surmontant les contreforts nord. Il est incendié à la fin du XVIIIe siècle. Le clocher est lui rétréci de plusieurs mètres au début du siècle suivant, ce qui lui confère l’aspect trapu qu’on lui connaît aujourd’hui. Le somptueux mobilier intérieur est l’œuvre de deux artistes angevins de la fin du XIXe siècle : Henri Chapeau pour le décor des deux grands autels secondaires et la chaire (1882 pour l’autel sud, 1885 pour l’autel nord et 1886 pour la chaire) et L. André pour les deux groupes sculptés du chœur (1895 pour Jésus et la Samaritaine au puits de Jacob et 1897 pour la Sainte-Famille) ainsi que les deux dômes de l’entrée (1895). La Pietà sculptée est quant à elle réalisée par la manufacture d’art sacré de Vendeuvre-sur-Barse, communément appelée la Sainterie, dans l’Aube. Enfin, le chemin de croix, peint en 1896, est réalisé par l’atelier d’Edouard Cabane, dont la signature indique qu’il se trouvait au 84 rue Bonaparte à Paris. Cette rue se situe en plein cœur du quartier parisien de Saint-Sulpice, haut lieu de la production d’objets et d’œuvres religieuses dans la seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle.
En haut : Cheffois, église Saint-Pierre, vue générale de la nef ; vue de la façade ; portail secondaire.
En bas : Cheffois, église Saint-Pierre, Sainte-Famille sculptée par L. André (1897).
En haut de page : Cheffois, église Saint-Pierre, voûtes de la dernière travée du chœur.
© Région Pays de la Loire – Inventaire général. T. Seldubuisson