Au cœur de la ville du Mans, la ZUP des Sablons est le premier grand ensemble en Région des Pays de la Loire étudié pour lui-même, dans le cadre d’une étude d’inventaire. Pierre Vago est l’architecte en chef et dès l’origine, l’attention portée au paysage, aux espaces de circulation et aux équipements est marquée.
Le décret du 31 décembre 1958 crée les Zone à Urbaniser en Priorité (ZUP), qui permet la conception de nouveaux quartiers ex-nihilo. Le Mans, ayant pâti des destructions pendant la Seconde Guerre Mondiale, connait d’importants problèmes de logement accentués par le baby-boom et l’exode rural qui accélèrent l’accroissement de la population. Ce besoin présent de logements et d’équipement amène le conseil municipal à voter le 11 mai 1959, la construction d’un grand ensemble d’habitations sur une période de dix ans au bord de l’Huisne.

La ZUP Sablons-Gazonfier est véritablement créée par arrêté ministériel le 21 juillet 1960. Michel Marty, architecte-urbaniste est choisi par le préfet de la Sarthe pour établir un plan général d’implantation. La ZUP est alors divisée en deux parties et l’architecte Pierre Vago, qui a déjà œuvré au Mans, est nommé architecte en chef de la partie Sablons. Débute alors une campagne de lourds travaux (terrassement, déblaiement…) visant à rendre les 246 hectares choisis viables et surtout non inondables. Pour ce faire, la physionomie du site est profondément modifiée avec la suppression d’une boucle de la rivière et la création d’un lac dont les remblais servent à la formation d’une « île aux sports ». En 1962, le cahier des charges est déposé et les travaux de construction peuvent commencer.
L’immeuble Lafitte et l’église Saint-Bernard des Sablons ©PB Fourny
Une construction de plus de dix ans
Pierre Vago, en tant qu’architecte en chef de la ZUP, dicte l’implantation des bâtiments, de la voirie et les grandes lignes stylistiques. La zone est découpée en 75 lots par la SEM (Société d’Equipement du Mans) qui a en charge d’étudier et de réaliser les équipements, infrastructures et logements. Chaque lot est attribué à un architecte ou à un cabinet d’architectes qui y travaille sous le contrôle de Vago, ce qui permet de conserver une unité. Sur les photographies anciennes, une tonalité prédomine : le blanc. Les Sablons avaient été conçus dans cette teinte pour renforcer les jeux d’ombre et de lumière et apporter un caractère aérien au site. De plus, la loggia est un module qui se retrouve sur la majorité des tours et barres. Cette répétition d’éléments standardisés accentue la plastique sérielle de la ZUP. Pour réduire les délais et le coût de construction, une usine de préfabrication des panneaux béton est installée par l’entreprise Heulin sur site le long de la ligne de chemin de fer. Les panneaux sont fabriqués selon le processus industrialisé dit TRACOBA : chaque panneau est réalisé sur la base de la trame Education nationale (1m75) avec une paroi intérieure en béton armé prise en sandwich par un isolant polystyrène et une peau béton de 7 cm. Malgré cette standardisation architecturale et la volonté d’une unité stylistique qui amène Vago à reviser des projets, des architectes à la renommée nationale interviennent dans la ZUP. Jean Yvan Lohner, élève de Stoskopf, réalise l’immeuble dit Lafitte en 1976. Le monumental « porte-à-faux » porte la marque de l’architecte ; l’agence parisienne Burc et Favre est chargé du collège Alain Fournier dont le mur rideau est notable. Certains bâtiments rappellent une homogénéité de construction dans le Grand Ouest. En effet, l’église Saint-Bernard des Sablons, inaugurée en 1977, est constituée de huit alvéoles. Réalisée par des architectes manceaux, elle s’inscrit dans la lignée des réalisations d’Yves Perrin. Huit églises de ce type sont connues en Bretagne et Pays de la Loire avec un nombre variable d’alvéoles, créant un espace modulable, propre aux églises post Vatican II et conciliaires.
La première phase de livraison pour les équipements et les logements intervient de 1965 à 1970. Puis les bâtiments s’échelonnent tous les ans jusqu’en 1979 avec un taux accru de maisons individuelles construites principalement par la société Leroi-Haricot, en particulier dans le nord des Sablons. Un ralentissement de la construction est notable à partir de 1975. L’année suivante, le préfet visite les Sablons et cette visite officielle marque le début de la fin du chantier, bien que le dernier bâtiment soit terminé en 1981. Depuis les années 2000, la ZUP fait l’objet d’un certain nombre de rénovations et plusieurs tours ont été détruites pour laisser place à des maisons individuelles.
Z.U.P. des Sablons ; Immeubles et maisons individuelles du quartier des Sablons ©PB Fourny

La structure de la ZUP : mise en réseau des vides et des pleins

Commun à l’ensemble des ZUP, l’édifice dominant des Sablons est la tour de logement pensée comme tour signal. Pierre Vago compose l’espace en s’appuyant sur les nouvelles théories architecturales et urbanistiques. La plus haute tour de la ZUP dont la forme et l’ampleur sont originales, est positionnée au centre. Dites Tour Cristal, elle s’impose comme monument au cœur d’un espace dont la raison d’exister est le logement. Les différentes tours qui s’élèvent aux Sablons sont traitées comme des masses qui rompent avec les barres, nombreuses, qui structurent également l’espace par leur aspect labyrinthique. Ces barres de quatre étages maximum mettent en exergue les quatre unités qui structurent le quartier et au centre desquelles se trouve systématiquement une école. Car bien que la tour, la barre et la maison soient gardiennes du site, les équipements ont également été considérés comme structurants. L’ancien groupe des piscines (aujourd’hui cité du Cirque) représentent la porte d’entrée à l’ouest alors que la patinoire (aujourd’hui disparue) formait l’entrée à l’est. Ces deux équipements sportifs composaient une diagonale d’agencement au centre de laquelle venait se placer le centre commercial. Ainsi, la composition architecturale de la ZUP agit de manière autonome, déconnectée de la ville environnante. Seuls les deux principaux axes routiers qui traversent le quartier maintiennent la connexion avec l’agglomération mancelle. Malgré la densité de population des Sablons, une attention particulière a été portée aux espaces paysagers. La promenade bordant l’Huisne, le bois des Sablons au cœur de la partie est, l’aménagement des rives du lac sont autant d’éléments marquant l’importance du vide architectural. D’ailleurs, lors de la densification du quartier dans les années 1975-1976, les riverains se plaignent de ce manque d’aération entre les immeubles « renfermant l’espace ».
Le bassin de la piscine des Sablons sous la piste de cirque ©PB Fourny
« J’ai essayé de faire des Sablons une cité vivante, diversifiée, avec beaucoup de points d’intérêt, beaucoup de lieux de rencontre et de communication (…) quand je traverse les rues et les petites places de ce quartier grouillant d’enfants jouant dans les squares, je vois les magasins prospères, les bateaux navigant sur l’Huisne, je suis largement récompensé de mon travail. ». Pierre Vago, pour répondre à la commande de la ville du Mans, conçoit une ville dans la ville avec des équipements publics et 7122 logements associant immeubles collectifs et maisons individuelles. Cette zone de grande taille a été retravaillée et modifiée au cours des douze ans qu’ont duré son élaboration mais n’en est pas moins la transcription du regard que posait Vago sur ces grands ensembles.
Peu de missions d’inventaire ont été réalisées sur ce type de patrimoine. L’actuelle étude au Mans s’attache justement à explorer l’extension urbaine et donc, notamment, par l’observation des cités ouvrières et grands ensembles. A l’heure où d’importants programmes de rénovation et de reconstruction des quartiers des années 1950-1970, cette étude s’accorde à comprendre et à garder trace de ces programmes urbains.
La tour cristal ©PB Fourny

Haut de page. Aménagement paysager du quartier des Sablons ; Lac artificiel dit lac des Sablons ©PB Fourny