Les recherches réalisées dans le cadre de l’opération d’inventaire du patrimoine architectural de la commune de Saint-Nazaire se poursuivent. Au sud-ouest du territoire, au croisement des actuels chemin de Porcé et route de la Vecquerie, se dresse une demeure singulière : la villa Mektoub. Avec son style oriental et sa mystérieuse inscription, elle invite au voyage autant qu’elle intrigue…
« C’était écrit »
La villa Mektoub est construite en 1934 pour Auguste Hervoche et son épouse Jeanne Antier, sur un terrain, au cœur du berceau familial de la commanditaire.
Si l’on distingue nettement les caractéristiques architecturales et ornementales du style Art déco sur la façade postérieure, l’élévation principale est d’influence « mauresque », comme le prouve les formes des ouvertures et l’épigraphe « Mektoub » écrit en arabe.
La villa Mektoub, élévation principale rue de la Vecquerie à Saint-Nazaire. ©Y. Guillotin
Cette inscription se traduit par « écrit » et par extension « c’était écrit » dans le sens de destin. Elle est bien présente dans le vocabulaire français dans la première moitié du XXe siècle, héritage sans doute, des anciennes colonies d’Afrique du nord. Pendant cette période, le terme apparaît régulièrement dans des ouvrages, des revues et des articles de presse. Il est également fréquemment attribué à des villas, sans pour autant qu’elles soient marquées d’une quelconque influence orientale. En témoigne, deux villas construites à La Baule, l’une de style pittoresque et l’autre de style néo-basque. A Saint-Nazaire, la villa « Mektoub », avec son architecture d’influence « mauresque » est sans équivalent. Alors pour quelles raisons les propriétaires ont-ils opté pour ce style ?
Du Maroc à Saint-Nazaire
Pour comprendre, il faut s’intéresser au parcours militaire d’Auguste Hervoche. Né à Guérande en 1890, il entre dans l’Armée en 1912. Il effectue près de douze ans de sa carrière au Maroc, notamment au sein du 5e régiment de Spahis, en tant que maréchal des logis. Pas étonnant donc qu’il ait emporté un peu d’Orient à Saint-Nazaire…
Les documents d’archives révèlent qu’avant les dommages causés par les bombardements de 1943, la maison possédait tout le confort moderne de l’époque : électricité, chauffage central, eau courante, salle de bains et lavabos dans presque toutes les pièces. Par contre, aucune mention d’un éventuel décor peint ou de mosaïques ornant l’intérieur de la demeure. On apprend aussi qu’une domestique vivait sur place. Elle disposait d’un logement situé au premier niveau.
Garde-corps, villa Mektoub à Saint-Nazaire. ©Y. Guillotin
En 1947, l’architecte Claude Dommée, est chargé d’assuré la direction technique des travaux de remise en état de l’édifice. Bien que son nom apparaisse ici et même si, à la reconstruction, de nombreux sinistrés se rapprochent de leur architecte pour faciliter les démarches, rien n’indique clairement que Dommée soit à l’origine du projet de la construction de la villa en 1934.
En 1948, Auguste Hervoche décède à Bordeaux. Dix ans plus tard, son neveu, Jean Pitre Antier acquiert la propriété. Il la conserve jusqu’en 1971.
Détail de la villa Mektoub à Saint-Nazaire. ©Y. Guillotin
De la villa à la croix du Haut-Rocher : un inventaire à la croisée des destins
Réaliser un inventaire du patrimoine à l’échelle communale permet de créer des connexions entre des édifices, des lieux, des histoires, des hommes et des femmes. Au cours du repérage, une croix votive située route du Haut-Rocher a été retenue. L’inscription sur le soubassement interpelle : « A la mémoire de Charles Hervoche tombé en Macédoine le 06 mai 1917. Un proche d’Auguste peut-être… Après quelques recherches, il apparaît que Charles était le frère d’Auguste. En 1915, il est adjudant d’infanterie coloniale. D’après la dédicace de la croix, il décède pendant une offensive, lors de la bataille de la Boucle de Cerna, sur le front de Macédoine. Les parcours des deux frères, très similaires, apportent un éclairage sur les unités militaires françaises stationnées sur des théâtres d’opérations extérieurs durant la guerre 1914-1918. L’issue n’est malheureusement pas la même pour Charles qui tombe au combat. Mektoub…
Croix érigée en mémoire de Charles Hervoche. ©Y. Guillotin
Projet immobilier : la villa Mektoub conservée
Au moment du repérage de l’inventaire, la villa était la propriété d’un particulier. Aujourd’hui, elle appartient à un promoteur immobilier dont le projet est de développer un collectif sur la pointe de la parcelle. En effet, la route de la Vecquerie se situe à proximité immédiate de la route de la Côte d’Amour, axe stratégique qui relie la façade maritime aux quartiers ouest et sur laquelle reposent beaucoup d’enjeux. Mais, consciente de l’intérêt patrimonial de la demeure, reconnue comme tel dans le PLUI, la Ville a défendu le maintien de la maison dans le futur projet. La villa est donc conservée et seuls les édifices annexes récents ont été détruits.